Don't give them what they want.

Ne leur donnez pas ce qu'ils veulent.

"Il ne faut pas donner au public ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer."

Cette citation de Jacques Chancel résonne en moi depuis de nombreuses années. Bien que Chancel n'ait jamais été magicien – c'était un célèbre journaliste et critique culturel français – ses mots semblent s'appliquer à toutes les formes d'art, y compris la nôtre.

Comme il y a un élément de surprise et d'impossibilité dans les démonstrations de magie et de mentalisme, les réactions du public sont souvent positives, car c'est divertissant et incompréhensible. Pourtant, il y a toujours cette tentation de céder à ce qui plaît immédiatement : des effets éprouvés, des blagues rabâchées, et des formules qui ont déjà fait leurs preuves. Cela revient à donner au public ce qu’il aime déjà, sans jamais oser lui proposer ce qu’il pourrait aimer.

J'entends souvent d'autres magiciens dire qu'ils réalisent certains tours parce que "les gens adorent ce truc !". Parfois, ces propos sont accompagnés d'un jugement négatif envers le tour utilisé ou, pire, envers leur propre public, comme si ces magiciens estimaient que les spectateurs ne méritaient pas mieux. Alors oui, je suis d'accord, "les gens adorent ce truc"... Mais peut-être que ce même public, dans ce même temps donné (le temps d'un effet ou d'un spectacle) aurait aussi pu découvrir et apprécier quelque chose de meilleur, de plus personnel, de plus enrichissant.

Cette tension entre répondre aux attentes immédiates et oser innover ne se limite pas à la magie. Dans le cinéma, par exemple, un film peut générer des recettes astronomiques et être considéré comme un succès commercial, mais cela ne garantit pas qu'il s'inscrive dans la lignée du "grand cinéma". À ce propos, le réalisateur légendaire Martin Scorsese avait déclaré en entretien que les films de super-héros ne constituaient pas du cinéma. Pour lui, le cinéma repose sur un langage artistique riche : il s'agit d'explorer la narration, la profondeur émotionnelle et l'expression de la condition humaine. Or, à ses yeux, les films de super-héros se contentent souvent d'un divertissement visuel spectaculaire – une sorte de parc d'attractions en mouvement – sans engager ces dimensions essentielles du cinéma.

Le dilemme est clair : doit-on suivre les attentes du public, ou bien s'aventurer vers de nouvelles voies qui pourraient l'enrichir, même si le succès immédiat n'est pas garanti ? Le public, dans le domaine de la magie, ne voit que la partie visible de l'iceberg : l'illusion, la présentation, le spectacle. Il ignore le travail acharné, la recherche de la méthode la plus originale, ou les heures passées à perfectionner chaque détail pour créer une expérience qui va bien au-delà du simple divertissement. Si je m'étais cantonné à "ce que le public aime", je n'aurais jamais osé parler d'Hiroshima et de certaines de mes histoires personnelles dans le spectacle d'illusionnisme que j'ai joué 200 fois de 2017 à 2019 à Paris ; heureusement pour moi, le public semblait apprécier un ton différent et l'investissement émotionnel que j'y mettais. Si je m'étais cantonné à "ce que le public aime", je n'aurais pas pris le risque d'inventer Haiku, un book test utilisant de la poésie japonaise du 17ème siècle !

En fin de compte, il faut trouver un équilibre entre le jugement du public et la vision de l'artiste. Le public est essentiel : il nous offre un retour immédiat et nous montre ce qui touche, ce qui captive. Mais l'artiste, lui, est celui qui ose innover, qui cherche à élargir les horizons, qui invite son public à découvrir de nouvelles émotions et réflexions.

Faites-vous confiance. Ne cédez pas systématiquement à l'impératif commercial. Osez proposer votre propre approche, allez chercher ce que le public pourrait aimer, et pas juste ce qu'il aime déjà. C'est dans cette quête d'authenticité et d'innovation que réside toute la magie de notre art.

 

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