Understanding magic

L'Art Invisible

En 2010, j’étudiais à l’Université de Sydney en Australie. J’y ai rencontré une communauté formidable de magiciens, parmi lesquels Sean Taylor, un mentaliste professionnel dont j’ai ensuite traduit les livres en français. En septembre 2010, Sean a invité le magicien américain Jon Armstrong pour une conférence. L’un des conseils les plus surprenants de Jon a été de lire L'Art invisible (Comprendre les bandes dessinées) de Scott McCloud. J’étais sceptique : comment un livre consacré aux bandes dessinées pourrait-il m’aider à perfectionner mon art ? Jon a insisté pour que je le lise comme si c'était un livre de magie.
C'est ce que j'ai fait. Ça a tout changé. Voyons quelques parallèles entre cet art et notre discipline.

Ellipse
McCloud définit l'“ellipse” comme le phénomène par lequel les lecteurs relient mentalement des cases de BD pour former un récit continu. Dans une BD, on peut voir un personnage debout dans une case, puis le retrouver face contre terre dans la case suivante. Est-il mort ou évanoui ? A-t-il trébuché ? Pourquoi ? Notre esprit comble le moment manquant et imagine une histoire.
En magie, nous dissimulons aussi certaines parties de la séquence (pour cacher la méthode), et c’est l’esprit du spectateur qui complète l’illusion. Dans une “case”, un participant écrit un nom. Dans la “case” suivante, le mentaliste révèle ce nom. C’est impossible, donc il a forcément dû se passer quelque chose entre ces deux “cases”. Idéalement, le public y insère un mystère. Soyez conscient de cet espace, et demandez-vous ce que l’on peut y insérer.
Par exemple, dans mon numéro de mémoire avec Pi, ce “vide” est comblé par l’illusion que j’ai réellement appris Pi par cœur, car j’ai conçu la routine pour qu’il n’y ait pas d’autre explication plausible.

Invisible
Un autre parallèle direct apparaît quand McCloud qualifie la BD d’“art invisible” : une histoire bien menée absorbe complètement le lecteur, qui oublie les aspects techniques (dessin, narration, etc.).
En magie, un tour est réussi quand le public cesse de se demander comment il fonctionne. Les meilleures manipulations ou subtilités psychologiques sont celles qui restent invisibles. En captivant le public, on recrée en quelque sorte cette “invisibilité” propre au récit immersif.
Lorsque je présente Haiku, mon book test basé sur la poésie japonaise, le thème captive tellement la spectatrice que je dois parfois l'empêcher de me montrer le poème choisi, car la situation ressemble à une vraie conversation plutôt qu'à un simple tour de magie.

Création
Bien que le processus créatif puisse paraître intimidant, L'Art Invisible propose un système en six étapes : Idée/Objectif, Forme, Idiome (ou style), Structure, Technique, et Surface. Selon McCloud, de nombreux artistes ne se préoccupent que de la Surface (le vernis final), sans interroger les motivations profondes qui président à la création.
Cela nous concerne directement. Pourquoi présentons-nous tel ou tel effet ? Sous quelle forme ? Quel lien avec notre style personnel (“idiome”) ? Notre Technique englobe méthodes et textes, tandis que la Structure décrit la manière dont nous menons le numéro du début à la fin. Le public peut être attiré par un numéro spectaculaire mais il percevra aussi la superficialité si on néglige ces six étapes.

Commercial
McCloud se penche aussi sur l’équilibre entre la dimension artistique et l’aspect commercial (j’en parle ici) ainsi que sur l’évolution d’un “simple média pour enfants” en un “art reconnu” (j’en discute ).

Perspective
À la fin de son livre, McCloud explique comment l’art transforme notre vision du monde. Chaque représentation offre une perspective nouvelle, permettant au public d’entrevoir l’impossible et de remettre en question sa conception du réel. D’une certaine façon, c’est ce que Jon Armstrong a fait pour moi en me recommandant L'Art Invisible. Merci Jon de m’avoir révélé ces parallèles inattendus entre la BD et la magie !



Pour découvrir les nombreuses autres idées de Scott McCloud, lisez L'Art Invisible comme s'il s'agissait d'un livre de magie. Observez comment McCloud organise ses cases, gère le temps et incite les lecteurs à combler les vides. Notez l’impact de la simplicité. Soyez conscient du but de vos créations. Et n’oubliez jamais que TOUTE forme d’art peut élargir notre champ des possibles. C’est cette conviction qui me pousse à explorer de nouvelles façons de créer et de partager ma magie.

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