Deus Ex: Human Revolution

Deus Ex : Human Revolution


Deus Ex : Human Revolution est un jeu vidéo sorti en 2011. Pourquoi parler d’un jeu vidéo sur un blog de magie ? Parce que ce jeu est l’occasion de faire un parallèle entre les deux mondes et de trouver l’inspiration dans les ponts qui sont créés. Mais avant de commencer, voici la bande-annonce du jeu :

En voyant la bande-annonce il y a quelques mois, j’avais été fasciné par la musique, la voix du protagoniste (une sorte de Clint Eastwood dans un film noir) et le décalage avec l’aspect moderne de l’univers de jeu. En jouant, une de mes vieilles idées s’est confirmée : le monde de la magie et des jeux (vidéos en particulier), bien qu’apparemment très différents, ont beaucoup de points en commun. Pour peu que l’on cherche l’inspiration, on peut la trouver partout, et ces liens entre les jeux vidéo et la magie peuvent nous apprendre une chose ou deux.

Je vais donc parler de Deus Ex et en dériver des conclusions applicables à la magie. Si vous prévoyez de jouer à ce jeu et que vous ne voulez pas vous gâcher certaines surprises, ne lisez pas cet article.




Choisir le niveau



Dès le menu, une idée se présente, lors de la sélection du niveau de difficulté. En fonction de son expérience, le joueur doit choisir le niveau de difficulté du jeu, en général intitulé «  facile », « normal » et « difficile ». Dans Deus Ex, le niveau facile s’appelle « Tell me a story » (« Raconte-moi une histoire »), accompagné de l’explication « Vous jouez aux jeux vidéo pour leur histoire et leur univers, pas pour les défis ou la compétitivité. Savourez l’univers de Deus Ex ! » ; le niveau normal s’appelle « Give me a challenge » (« Lance-moi un défi »), accompagné de l’explication « Vous appréciez une bonne histoire et être mis à l’épreuve. C’est comme ça que le jeu doit être joué ! » ; le niveau difficile s’appelle « Give me Deus Ex » (« Donne-moi Deus Ex »), accompagné de l’explication « Les ennemis plus résistants et les situations plus difficiles vous donnent du fil à retordre et une bonne décharge d’adrénaline. Vous ne faites qu’un avec la machine ! ». Je ne suis pas un très bon joueur, j’ai donc pris le niveau le plus facile.

Je me suis alors posé la question suivante : si ma magie était un jeu vidéo, comment un spectateur décrirait-il son expérience ? « Raconte-moi une histoire » correspondrait à ces effets où le spectateur ne fait que regarder passivement, avec peu ou pas d’interaction (par exemple, un numéro de manipulation sur scène, ou une routine d’huile et eau en close-up) ; « normal » (C’est comme ça que le jeu doit être joué !) serait une magie où le spectateur intervient tout en restant dans son rôle de spectateur (par exemple, les effets de carte choisie en close-up) ; et « Donne-moi Deus Ex » (Vous ne faites qu’un avec la machine !) serait une magie où le spectateur se perd dans l’expérience magique, interagit avec l’artiste pour créer une expérience ayant du sens pour lui et le public.

Je pense que trop souvent, la magie se cantonne au niveau «  Raconte-moi une histoire », passe parfois au niveau « normal », mais trop rarement au niveau « Deus Ex ». Bien sûr, dans un spectacle complet, il faut alterner les degrés d’implications du public, pour le laisser respirer. Cela dit, réfléchissez à votre propre répertoire : le spectateur est-il trop souvent passif ? Ou est-il sollicité ? Et quand bien même il serait sollicité, est-il vraiment impliqué, vraiment engagé, vraiment acteur de sa perception de votre magie ?

Exemple de magie classique : la coupe sur les as. Si vous montrez que vous savez couper sur les quatre as dans un jeu mélangé, c’est le niveau « Raconte-moi une histoire » ; si vous montrez au spectateur qu’il peut couper sur les as, c’est le niveau « normal » ; si vous montrez au spectateur qu’il peut couper sur les as et que cela a une signification profonde pour lui, c’est le niveau « Deus Ex ». Et bien sûr, il est très possible que les cartes à jouer ne soient pas l’objet parfait pour faciliter l’accès au niveau « Deus Ex ».


Créer un univers



Une fois la partie lancée, on découvre un univers dont la technologie est futuriste, bien que la structure sociale, économique, culturelle et politique reste similaire à celle d’aujourd’hui. Contrairement aux jeux linéaires où le joueur suit une ligne droite, Deux Ex propose une expérience ramifiée. Vous pouvez choisir de remplir une mission et pas une autre, ce qui affectera vos relations avec les différents personnages et influera sur les évènements futurs du jeu. C’est là encore un point commun avec le monde de la magie.

La magie et les jeux vidéo sont pour l’instant les deux seuls modes de divertissements où le spectateur est également acteur. De par ses actions, un joueur peut influer sur le déroulement de Deux Ex. Cela représente un défi non négligeable pour le programmeur, qui doit créer un univers de jeu apparemment large et ouvert (pour que le joueur se sente libre), mais suffisamment fermé et contrôlé pour que la narration suive son cours. De la même façon, un magicien doit créer un univers où il accueille un spectateur pour le guider discrètement jusqu’au dénouement final ; si le spectateur se méfie d’un des éléments de l’univers (objets utilisés, actions réalisées, interactions entreprises), il va cesser de profiter du moment et commencer à tout remettre en question. Steven Spielberg ne veut pas que vous soyez admiratif du magnifique rendu du faux Tyrannosaure dans Jurassic Park ; il veut que vous ayez peur pour votre vie ou au moins pour celles des personnages.

Examinez l’univers et l’expérience que vous offrez à votre public : l’univers est-il cohérent avec lui-même ? Semble-t-il assez ouvert pour détendre le spectateur ? Est-il assez fermé pour vous laisser assez de contrôle ?

Exemple de magie classique : le book test. Si vous faites choisir une page dans le livre en faisant mélanger un jeu de cartes ou en faisant une opération mathématique, ça n’est pas cohérent et le spectateur commencera à soupçonner quelque chose. S’il peut choisir le livre, la page, le mot librement, il a l’impression d’être libre. Mais vous restez dans les limites contrôlées de votre univers, car tous les livres sont secrètement truqués et le spectateur ne se rend pas compte qu’il a un choix de mots limité.


Guider le spectateur

Après quelques minutes de jeu, vous passez aux choses sérieuses et devez vous infiltrer dans un immeuble pour sauver des otages. Évidemment, la grande majorité des joueurs n’aura aucune expérience en termes d’infiltration ou même de combat. Heureusement, la plupart des jeux contiennent des tutoriels, des explications intégrées au jeu permettant de montrer au joueur les actions basiques qui lui permettront de progresser dans le jeu.

C’est un domaine dans lequel les magiciens, en close-up en particulier, ne sont pas très bons. Si le spectateur doit effectuer des actions, et que la réussite de l’effet dépend de ces actions, il semblerait logique d’insérer un tutoriel clair et rapide dans la structure de l’effet. Examinez les effets dans lesquels vos spectateurs interviennent : les actions que vous demandez d’eux sont-elles clairement exprimées ? Si elles sont difficiles ou nouvelles pour le public, ont-ils eu droit à une rapide explication, voire démonstration ? Ces tutoriels sont-ils intégrés naturellement dans la structure de vos effets ?

Faites attention aux mots choisis pour les guider, aux gestes que vous faites pour illustrer ce que vous attendez d’eux, au temps que vous leur laissez pour assimiler leur rôle et actions. Répétez ces éléments au même titre que vous répétez votre tour. Le public ne connaît pas l’effet, ne sait pas ce que vous attendez de lui, et est peut-être nerveux ou distrait.


Enrichir l’expérience

Les différentes étapes du jeu Deus Ex sont exprimées à travers le graphisme de l’univers qui vous entoure, le rythme, l’histoire, les musiques et les bruitages, le type d’actions que le personnage principal entreprend... De la même façon, plus vous donnez de corps à votre univers magique, plus vous enrichissez l’expérience du spectateur. Depuis quelques années maintenant, les réalisateurs de jeux vidéo ont compris l’importance de la musique pour immerger le joueur dans la partie. La musique du jeu Metal Gear Solid a été créée par Harry Gregson-Williams, qui fait partie de l’écurie du célèbre Hans Zimmer et à qui on doit également la musique de Shrek, Man on Fire et bien d’autres encore.

Votre magie a-t-elle besoin de décor, de musique ? Si oui, lesquels ? Quel est le rythme de tel ou tel effet, et ce rythme est-il le plus adapté pour obtenir le meilleur impact ?


Transcender le genre

Rendez-vous compte : les jeux vidéo ont longtemps été considérés comme une forme de divertissement réservée aux jeunes, sans aucune ambition de qualité ; un produit de consommation sans impact profond sur son public, presque une perte de temps. Maintenant, les bandes-annonces de certains jeux vidéo sont plus regardées que celles des plus grands films, et les jeux eux-mêmes représentent une industrie aux revenus plus importants que ceux du cinéma. Le jeu vidéo, quand il est bien fait, transcende sa condition de divertissement futile et se permet même d’interroger le joueur sur son rôle social, sa personnalité, et à le mettre face à des choix dont les répercussions dépassent le cadre virtuel pour entrer dans le réel.

Dans Deus Ex, vous passez le plus clair de votre temps à combattre des ennemis et à remplir des missions. Mais vous avez toujours le choix et ce choix définit votre personnage autant qu’il vous définit vous-même : allez-vous préférer utiliser une force légère et endormir vos ennemis, ou préférer l’artillerie lourde et tuer systématiquement tous ceux qui sont sur votre chemin ? Certaines missions dans Deus Ex sont clairement malhonnêtes, d’autres sont plus idéalistes : allez-vous choisir de déclencher une guerre des gangs, ou plutôt d’envoyer en prison un politicien douteux ?



À la fin du jeu, un changement important s’opère. Tous ceux qui étaient jusque-là vos ennemis deviennent fous, à cause d’une puce implantée dans leur cerveau. Ils s’attaquent à vous, vous confondant avec les démons de leurs hallucinations. Allez-vous choisir de tuer des gens qui sont une menace autant pour vous que pour eux-mêmes, ou ferez-vous preuve de plus de clémence ? Pire, si vous ne disposez pas des outils de la clémence et n’avez dans votre arsenal que des armes mortelles, comment allez-vous gérer votre responsabilité dans le massacre d’innocents ?

Après avoir invité le joueur à considérer son comportement le long du jeu, la scène finale de Deus Ex va encore plus loin, et vous propose tout simplement de choisir le sort du reste de l’humanité. Les trois choix offerts sont tous justifiables, mais ont des résultats bien différents. Ils ont cependant en commun qu’ils vous donnent les pleins pouvoirs sur la population mondiale. Chacune des trois options déclenche une fin de jeu différente ; plus important encore, votre choix en dira long non pas sur votre personnage, mais sur vous-même.

C’est là la force d’un jeu tel que Deus Ex (ou Metal Gear Solid, ou Silent Hill) : le jeu vidéo transcende sa condition et devient une expérience au sens profond pour le joueur. C’est là aussi que réside le pont ultime entre la magie et les jeux vidéo : si les jeux vidéo ont réussi, en dépit des préjugés et des conditions difficiles, à toucher leur public à ce point, qu’en est-il de la magie ? Qu’en est-il de votre magie ?

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